Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette remarque faite, nous sommes obligés de reconnaître que la doctrine intuitioniste soulève des objections très graves. Si, comme nous le croyons, les règles de la synthèse algébrico-logique expriment les conditions mêmes de la connaissance scientifique, comment peut-il exister une sorte de connaissance avant la lettre, dans laquelle ces règles ne sont pas respectées ? D’autre part, en prétendant que les notions mathématiques peuvent être perçues instinctivement, nous allons donner à penser, non seulement que ces notions sont indépendantes de nos raisonnements (là s’arrêtait la signification que nous avons donnée jusqu’ici au mot objectivité) mais qu’elles existent, individuellement pour ainsi dire, dans un monde d’idées pures : croyance dont la critique philosophique croit avoir fait justice et qui est, d’ailleurs, directement contraire à l’idée que nous nous sommes faite plus haut de la réalité mathématique.

À ces objections le mathématicien n’est pas tenu de répondre car elles sont dirigées contre des assertions qu’il n’entend pas prendre à son compte lorsque, se plaçant sur le terrain scientifique, il se déclare intuitioniste. Le mathématicien n’étudie pas le problème métaphysique de la connaissance et n’a pas, par conséquent, à expliquer comment il peut exister plusieurs manières de connaître. Encore moins est-il obligé de savoir quelle sorte

    parmi les intuitifs comme étant l’un des savants qui ont le plus exercé cette faculté de vision intellectuelles directe que nous appelons « intuition » (Cf. La logique de l’infini, apud Rivista di Scienza, juillet 1912). Nous avons nous-même cherché à réhabiliter le sens cartésien du mot intuition dans diverses études, notamment dans un article sur l’Objectivité intrinsèque des Mathématiques publié en 1903 (Revue de Métaphysique). — Félix Klein a, à diverses reprises, établi une distinction entre l’ « intuition naïve » et l’« intuition raffinée », distinction qui correspond jusqu’à un certain point à celle que nous faisons ici.