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nements géométriques ou mécaniques, mais seulement des opérations algébriques assujetties à une marche régulière et uniforme. Ceux qui aiment l’Analyse verront avec plaisir la Mécanique en devenir une nouvelle branche et me sauront gré d’en avoir ainsi étendu le domaine ». Cette conception de la Mécanique fit rapidement fortune et elle exerça une grande influence sur le mouvement des idées philosophiques[1]. Elle fut même, à proprement parler, le point de départ du système d’Auguste Comte, et c’est pourquoi ce dernier proclame « l’éminente supériorité philosophique de Lagrange sur tous les géomètres postérieurs à Descartes et à Leibniz ».

La grande découverte qu’aurait faite Lagrange si l’on en croit Comte consistait, en somme, à reconnaître que la méthode des sciences mathématiques peut être entièrement détachée de son objet traditionnel et rapportée à des objets nouveaux. En conséquence, on pourra construire des théories portant sur les lois du monde physique et se composant de deux parties nettement discernables : une forme qui est purement mathématique (analytique, algébrique), une matière qui est fournie par l’expérience.

Cette doctrine, séduisante par sa simplicité, s’est perpétuée au cours du xixe siècle et nous la retrouvons, telle quelle, dans l’esprit ou dans les écrits de nombreux physiciens contemporains.

Écoutons, par exemple, Pierre Duhem, l’un des grands théoriciens de la physique de notre temps. Dans un récent ouvrage, Duhem définit en ces termes la

  1. Cf. L. Brunschvicg, Les Étapes de la Philosophie mathématique, p. 286 et suiv.