Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/250

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propre langue. Il n’en est rien. L’analyste, lui aussi, fait une version. Il traduit, comme nous l’avons dit ailleurs, la qualité en quantité, et sa traduction n’est pas adéquate au texte. Lorsque, par exemple, on exprime la fonction exponentielle par l’égalité y = 1 + x + x²/1 × 2 + x³/1 × 2 × 3 + …, on traduit cette fonction dans la langue de l’algèbre ; mais, ce faisant, on la déforme : car, pour avoir la vraie valeur de y, il faudrait donner au polynôme qui la représente une infinité de termes. Ainsi, pas plus que le physicien, le mathématicien ne raisonne directement sur les qualités premières qui lui servent de point de départ : force lui est de transformer ces qualités en notions algébriques, offrant une prise au calcul et à la déduction logique.

Rôle de la déduction algébrique. — Dans un chapitre intitulé : Déduction mathématique et théorie physique, Duhem oppose l’à peu près physique à la pression mathématique. Il montre qu’une infinité de faits théoriques différents peuvent être pris pour traductions d’un même fait pratique. « Dire que la température est 10°, ou 9°,99 ou 10°,01, c’est formuler trois faits théoriques incompatibles ; mais ces trois faits théoriques incompatibles correspondent un seul et même fait pratique si la précision de notre thermomètre n’atteint pas au cinquantième de degré. Un fait pratique ne se traduit donc pas par un fait théorique unique, mais par une sorte de faisceau qui comprend une infinité de faits théoriques différents[1]. Cette constatation conduit à une remarque, où, selon Duhem, apparaîtrait une différence essentielle entre la déduction mathématique et la loi physique. Supposons[2] que d’un premier fait

  1. Ibid., p. 217.
  2. Ibid., p. 231.