Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/251

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pratique on veuille déduire un second fait pratique. Au premier fait correspond un faisceau de faits théoriques d’où l’on tire, par déduction, un autre faisceau de faits théoriques. Si ces derniers faits sont assez voisins pour représenter, au degré d’approximation voulu, un seul et même fait pratique, la déduction théorique fournit bien une relation entre deux faits pratiques. Si, au contraire, les faits théoriques déduits s’écartent les uns des autres, le calcul que l’on a fait ne conduit pas à un résultat pratique déterminé valable pour le mathématicien, il est sans utilité pour le physicien.

Les remarques que fait ici Duhem sont parfaitement justes ; mais c’est à condition que l’on écrive logique ou « algébrique » partout ou il a mis « théorique » et « mathématique ». L’opposition, en effet, n’est pas entre les mondes physique et mathématique : elle est entre la complexité, la richesse du donné objectif, et la pauvreté du schéma que nous substituons à ce donné. Comme le physicien, l’analyste est chaque jour arrêté par les difficultés que l’on nous signale. Lorsqu’il traduit une fonction transcendance dans la langue de l’algèbre, il est obligé de simplifier cette fonction ; il néglige un certain reste. Or il existe une infinité d’expressions algébriques dont la différence est beaucoup plus petite que le reste négligé. Qu’est-ce à dire, sinon qu’a un fait mathématique donné correspond une infinité de faits algébriques ? Nous voilà dès lors ramenée aux remarques de Duhem. Un calcul algébrique ne pourra être fécond que sous certaines conditions. Par exemple, pour déduire les propriétés d’une fonction de celles d’une expression algébrique, il ne suffit pas de savoir que la fonction et l’expression sont très voisines en tel point donné : il faut encore s’assurer qu’elles restent très voisines lorsque le point varie d’une manière quel-