Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/254

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a fallu plusieurs générations pour sortir de l’enfance. Le mathématicien n’en a pas moins été aux prises, pendant quinze jours, avec les difficultés auxquelles se heurtent les physiciens.

Peut-on dire, d’autre part, qu’une théorie physique — mise à l’abri des étourderies possibles de ses auteurs, — soit moins définitive qu’une théorie mathématique ?

Duhem admet[1] avec la plupart des savants contemporains, que les postulats de la Physique sont inaccessibles aux démentis de l’expérience. Il y a donc du définitif en Physique comme en Mathématiques. Seulement ce définitif est toujours sujet à revision : corrections de détail d’abord, et quelquefois bouleversement [exemple : Copernic]. « Un jour peut-être, en refusant de recourir à des corrections pour rétablir l’accord entre le schéma théorique et le fait, en portant résolument la réforme parmi les propositions qu’un commun accord déclarait intangibles, le savant accomplira l’œuvre de génie qui ouvre à la théorie une carrière nouvelle[2] ». Mais, en tout cas, le bon sens seul est juge des hypothèses qui doivent être conservées ou abandonnées[3].

Il en est exactement de même en Mathématiques. Une théorie, définitive au regard de la Logique, n’est pas pour cela intangible. Il peut devenir opportun de l’englober dans une théorie plus générale. Ainsi, pour un algébriste d’autrefois la fraction 1/1 + x² appartenait au type des fonctions toujours continues. Pour un moderne, cette fraction présente deux discontinuités isolées aux

  1. Loc. cit., p. 342 et sqq.
  2. Loc. cit., p. 348.
  3. Ibid., p. 356.