Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/263

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poursuivent des résultats de détail, recherchant, dans tous les domaines, ce qui est élégant, ce qui est facile, ce qui est pittoresque, comme aussi ce qui peut être de quelque utilité pour les applications pratiques de la science. Cette méthode de travail a, pendant un temps, permis d’obtenir une grande richesse de production. Feuilletons l’œuvre de certains mathématiciens d’il y a quarante ans : l’étonnante variété des sujets qu’ils ont enffleurés nous confond ; ils sautent, comme au hasard, de l’un à l’autre, cueillant partout les fleurs les plus colorées. Ils ont ainsi composé un joli bouquet, mais leur œuvre ne comporte pas de suite, et c’est là un assez grave défaut. Sous des dehors inoffensifs, le point de vue éclectique a peut-être nui, plus qu’on ne le croit d’ordinaire, aux progrès des mathématiques ; car on a plus ou moins défloré tous les sujets connus, laissant les générations nouvelles engagées dans des impasses. Pareille situation ne saurait durer. D’ailleurs, les théorèmes se multiplient si rapidement qu’on ne peut plus se borner aujourd’hui à les collectionner sans méthode. Chacun, à notre époque, sent la nécessité de rétablir en Analyse un programme de recherches nettement défini.


Si pourtant le mathématicien ne peut se fier ni aux règles de la logique ni à son sens esthétique pour apprécier la valeur des théories, comment, encore une fois, ordonnera-t-il et conduira-t-il ses travaux ? Il lui reste, en pratique, une dernière ressource, qui est de s’en remettre à la tradition et à ses pairs. De tout temps les savants se sont mutuellement excités au travail en se piquant d’émulation, en s’adressant les uns aux autres des questions ou des défis. Les maîtres de la science, d’autre part, se sont chargés de diriger leurs disciples en canalisant les recherches de ceux-ci dans certaines