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lents), ni qu’il y ait lieu de donner le pas à certaines théories en raison des mérites de leur contenu. Les considérations qui nous portent à juger tel fait plus intéressant qu’un autre sont le plus souvent, comme nous l’avons vu, de simples préjugés. M. Denjoy le montre une fois de plus, fort spirituellement, dans un récent article[1], où il raille les savants traditionalistes de ne s’intéresser qu’à de « bonnes bourgeoises de fonctions » et de méconnaître l’importance de certains travaux récents. Ces esprits retardataires semblent en effet se méprendre complètement sur la mission qui incombe au véritable analyste. La découverte doit être, selon nos vues, une exploration ; le mathématicien a pour mission de rechercher ce qui est ; son but est de dresser la carte du monde des faits mathématiques. Peu nous importera, par conséquent, que le chercheur découvre ceci ou cela, pourvu qu’il parvienne à inscrire quelque chose sur la carte à des endroits où il n’y avait que des blancs, pourvu que par un certain biais il pénètre là où on n’était pas encore allé, pourvu qu’il nous apporte des informations précises, définitives, ces informations fussent-elles d’ailleurs purement négatives.

En d’autres termes le mathématicien moderne regardera un problème comme étant avant tout un point d’interrogation, une question à laquelle il faut trouver une réponse. Sans doute, entre toutes les formes que peut recevoir la réponse, devra-t-on choisir de préférence celle qui est la plus simple, la plus générale et qui possède au plus haut degré les diverses qualités qui rendent une théorie claire et facilement maniable. Mais, quelle que soit la réponse obtenue, cette réponse doit en

  1. A. Denjoy, L’Orientation actuelle des Mathématiques, Revue du Mois, 10 avril 1919.