Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/267

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thématiques, on a pris l’habitude de commencer celle-ci avant d’avoir terminé l’analyse. De là vient que nous voyons édifier tant de théories volumineuses, minutieusement ordonnées, mais condamnées néanmoins à disparaître, parce qu’elles sont construites sur des bases insuffisamment éprouvées. Il y a là un gaspillage d’efforts que l’on éviterait si l’on voulait bien reconnaître que la recherche analytique, encore qu’elle n’apporte que des résultats épars et imparfaits, doit être poursuivie pour elle-même avant la construction de toute théorie synthétique ; on ne doit pas craindre de s’y attarder, mais la laisser, au contraire, se développer posément et respecter les caractères propres qui la distinguent.

On remarque également chez beaucoup de mathématiciens une tendance professionnelle à toujours systématiser et généraliser. Or cette tendance, qui est excellente dans la synthèse, contrarie plus qu’elle ne favorise les progrès de l’analyse. Il convient donc de n’y pas céder prématurément. Au moment où une théorie hésite sur la route à suivre, tâtonne pour s’orienter, il ne lui sied pas de viser à la perfection logique, encore moins de chercher à être complète. En dépit de l’axiome : « Il n’y a de science que du général », c’est souvent, en fait, l’examen d’un cas particulier qui fournira le fil conducteur cherché. À quoi bon systématiser ce qui est provisoire ? À quoi bon généraliser ce qui n’est qu’une ébauche ?

Ces remarques équivalent à dire, en somme, qu’avant de mettre au point la forme d’une théorie il est nécessaire de se préoccuper du fond. Mais nous n’admettons pas d’autre part, que le mathématicien doive rechercher certains faits de préférence à d’autres (sauf lorsqu’il est possible de faire un choix en faits équiva-