Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/49

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Ainsi se trouvait ouvert aux géomètres, un vaste champ d’investigations, comprenant probablement les régions de la science qui offrent la plus riche moisson de beaux théorèmes, mais dont les frontières, assurément, étaient extrêmement artificielles. Ne peut-on concevoir, en effet, de nombreuses courbes géométriques planes, autres que le cercle et les sections coniques, qui ne sont pas moins susceptibles d’être l’objet d’une étude spéculative rigoureuse ? Les géomètres grecs eux-mêmes connaissaient bien plusieurs de ces courbes, auxquelles ils avaient été conduits par la recherche des lieux géométriques[1].

On sait que l’on appelle « lieu géométrique » l’ensemble des points du plan ou de l’espace qui jouissent d’une propriété commune. En géométrie plane, le lieu géométrique peut être une droite, un cercle ou une section conique, mais ce peut-être aussi une autre courbe, qui se trouve alors définie par la propriété même dont jouit l’ensemble de ses points. C’est ainsi qu’au ve ou ive siècle av. J.-C., Hippias définit la courbe appelée quadratrice. Au iiie ou iie siècle, Nicomède définit la conchoïde et Dioclès la cissoïde. L’allure générale de ces courbes était facile à déterminer ; mais pouvait-on, cependant, regarder leur définition comme complète ? Pouvaient-elles légitimement prendre place dans la Géométrie ? Comme s’ils craignaient de porter atteinte à la pureté de cette dernière, les Grecs hésitent à ouvrir aux courbes nouvelles la porte du sanctuaire, et ils préfèrent les placer en marge de la Science. Ces courbes seront pour eux, d’ordinaires des τόποι γραμμικοὶ, ou lieux

  1. Cf. P. Tannery, Pour l’histoire de lignes et surfaces courbes dans l’antiquité, apud Mémoires scientifiques, édit. Heiberg-Zeuthen, tome II.