Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/58

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de mérite, le mathématicien doit toujours rechercher ce qui lui paraît simple et harmonieux, on devine facilement dans quel esprit et d’après quels principes ce savant accomplira son travail de recherche.

Le géomètre grec, en règle générale, ne vise pas à la difficulté. Il n’entre pas dans son dessein de se tourmenter l’esprit, d’user de ruses et de détours pour parvenir à la connaissance de faits peu accessibles, dont la complication même est un signe d’impureté. La découverte, telle qu’il la conçoit, doit s’accomplir sans effort. Non pas, bien entendu, que le savant grec se croie maître de sa spéculation et considère le moins du monde les Mathématiques comme une création de son esprit. Mais il résulte de ses conceptions que seules méritent d’être étudiées les propriétés des nombres et des figures qui se révèlent à nous facilement.

C’est donc très justement que l’intuition, par laquelle nous atteignons les vérités mathématiques, est souvent comparée à une vision de l’intelligence. Pour découvrir les assemblages d’idées qui doivent faire l’objet de notre science, il suffit à notre esprit de regarder. Si nous n’apercevons pas du premier coup tous les caractères et toutes les propriétés de ces assemblages, c’est parce que nous ne sommes pas habitués à contempler directement des idées. Nous sommes semblables à un homme que l’on extrairait brusquement d’un antre souterrain où il aurait été longtemps retenu captif ; « la lumière lui blessera les yeux, et l’éblouissement qu’elle lui causera l’empêchera de discerner les objets »[1]. Et, s’il nous arrive parfois de commettre des erreurs, c’est parce que, n’ayant pas suffisamment exercé notre faculté d’intuition, nous avons notre vision obscurcie par certains préjugés. Ainsi

  1. Platon, République, VII