Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/59

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l’esclave ignorant que Platon met en scène dans le Ménon[1] n’avait qu’à regarder en lui-même pour trouver la solution du problème que lui posait Socrate (construire un carré double du carré dont le côté a pour longueur deux pieds) ; mais il commence par se tromper parce qu’allant trop vite, et n’ayant pas l’habitude de réfléchir, il s’imagine « savoir ce qu’il ne sait pas et répond avec confiance comme s’il le savait ». Cependant, guidé discrètement par Socrate, ce même esclave arrive peu à peu, sans effort, sans heurt, sans à-coup, à résoudre correctement le problème posé.

Nous rapportons ici le témoignage de Platon sans en tirer aucune conclusion métaphysique. Nous n’avons pas à exposer la théorie de la réminiscence, ni à examiner en quel sens il est permis de dire que les idées mathématiques préexistent dans notre âme à l’action de l’intelligence. Nous cherchons uniquement à définir l’attitude scientifique du géomètre du ve siècle et sa conception de la découverte. Et il nous apparaît que cette conception peut se résumer dans la conclusion suivante : le savant ne crée pas le fait ; il n’a pas, par contre, à se faire violence pour le conquérir ; il se borne à le constater et à l’enregistrer.

Platon a souvent comparé à une chasse la recherche des idées, et la recherche mathématique en particulier. La comparaison est, en effet, fort juste, à condition toutefois que l’on précise bien quel est le genre de chasse dont on veut parler. C’est ce que Platon fait voir dans le Théétète[2]. Il y a, dit-il, deux sortes de chasse. Supposons que nous soyons propriétaires d’un colombier. Pour tirer parti de ce colombier, il faudra

  1. Ménon, Œuvres de Platon, trad. Cousin, t. VI, p. 173 et suiv.
  2. Théétète, Œuvres de Platon, trad. Cousin, t. II, p. 202.