Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/61

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rigoureux, où l’enchaînement des propositions est réalisé d’une manière impeccable. Ne sont-ce point là des faits dont il faut tenir compte, et, en les reléguant momentanément dans l’ombre, n’avons-nous point défini d’une manière trop étroite l’idéal de la science grecque ? Ou, plutôt, cet idéal est-il bien unique ? À côté de la tendance qu’ont eue certains grands géomètres à faire dépendre la valeur de la science de la perfection de son objet, et à s’effacer devant celui-ci, ne peut-on pas discerner également, en Grèce, une tendance opposée, qui portait les savants à estimer surtout, dans la science, les qualités de l’appareil démonstratif ?

Il n’est certes pas niable que le goût de la logique et de la dialectique ne soit un des traits distinctifs de la race hellénique. Déjà apparent dans les manifestations les plus anciennes de la pensée grecque, il fut fortifié par les sophistes aussi bien que par les géomètres de l’Académie, contemporains ou continuateurs de Platon. Aristote, enfin, fit passer la logique au premier plan des préoccupations des savants de son temps et, en établissant un parallélisme systématique entre l’ordre logique et l’ordre de l’existence, il porta un coup redoutable à la doctrine métaphysique sur laquelle Platon fondait l’opposition de la connaissance contemplative et de la science didactique. Sans doute, Aristote ne fut pas un mathématicien ; mais il y a une incontestable parenté intellectuelle entre la logique du Lycée et la géométrie d’Euclide[1]. C’est une inspiration commune qui se manifeste dans l’une et dans l’autre, et qui donne à l’édifice de la géométrie pure son ossature définitive.

Afin de préciser la discussion qui va suivre, rappelons

  1. Cf. L. Brunschvicg, Les étapes de la philosophie mathématique, chap. VI.