Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/79

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En utilisant la notion de rapport numérique, et définissant la fraction comme le rapport de deux nombres entiers, on étend sans grande peine le champ de l’arithmétique à l’ensemble du domaine que nous appelons aujourd’hui « domaine des nombres rationnels ». Mais là s’arrête la compréhension de l’idée de quantité arithmétique. Il n’existe aucun procédé permettant de définir par le calcul les quantités (dites « incommensurables avec l’unité » ou, en langage moderne, « irrationnelles ») qui ne sont pas des rapports de nombres entiers. Or qu’arrive-t-il ? Dès ses premiers pas, le géomètre qui a commencé à étudier les relations des figures avec les nombres, se trouve en présence de propriétés auxquelles il ne pourra appliquer sa méthode à moins de considérer de telles quantités « incommensurables ». Devant ce fait troublant, dont le théorème de Pythagore sur le triangle rectangle fournit l’exemple le plus simple[1], les Pythagoriciens restent confondus. L’édifice de la science est ébranlé. Comment va-t-il être possible de le reformer ?

Il semble que, si cette difficulté n’arrêta pas longtemps les progrès de la science, elle ne fut cependant jamais résolue par les Grecs d’une façon qui satisfît pleinement leur esprit.

Il n’y avait en réalité que deux manières d’écarter la difficulté sans rien abandonner des possibilités qui s’offraient à la science. Ou bien, il fallait élargir la notion de nombre de façon à établir une concordance absolue entre cette notion et celle de grandeur mesurable. Ou bien il fallait renoncer à l’unité que les Pythagoriciens avaient voulu faire régner dans la science, et instituer, à côté de l’arithmétique proprement dite, une étude quantitative des grandeurs géométriques.

  1. Voir plus haut, p. 42.