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La première solution est celle qui fut finalement adoptée. En 1717, Christian Wolf définit le nombre[1] : « ce qui est rapporté à une unité comme un segment de droite à un autre segment ». En d’autres termes, il ramène complètement la notion de quantité à celle de longueur, faisant ainsi perdre au nombre entier la situation privilégiée qu’il avait occupée dans l’arithmétique classique. C’est là, on le comprend, une manière de voir que ne pouvaient pas admettre les Mathématiciens grecs ; car l’arithmétique des nombres entiers, qui leur avait révélé la science et qui donne lieu aux théories les plus harmonieuses, devait toujours conserver une place à part dans leurs spéculations, comme étant l’étude qui nous rapproche le plus de l’idée pure du nombre.

La seconde solution ne soulevait pas les mêmes objections. Pourtant les Grecs de la grande époque n’ont cru pouvoir l’adopter qu’en partie, retenus, semble-t-il, par certains préjugés ou certains scrupules. Cherchons à bien discerner sur ce point la nuance exacte de la pensée hellénique, qui se trouve assez malaisée à définir en raison de la pauvreté du vocabulaire dont nous disposons.

On a fréquemment parlé du « calcul géométrique », de l’ « algèbre géométrique », de la « géométrie calculante » des Grecs. Toutes ces expressions, croyons-nous, doivent être interprétées avec une grande prudence si l’on veut éviter les confusions et les anachronismes auxquels on est exposé en pareille matière.

Nous avons aujourd’hui l’habitude de faire ressortir à

  1. Elementa matheseos universæ, Halle, 1717. Certains historiens pensent trouver déjà la notion générale de nombre chez Jordanus de Nemore (au 13e siècle). Newton, d’autre part s’exprime ainsi dans son Arithmetica universalis (1707) : Per numerum abstractum quantitatis cujuvis ad aliam ejusdem generis quantitatem, quæ pro unitate habetur, rationem intelligimus.