Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui-là, dit Brahmagoupta, deviendra un maître parmi les savants[1] ».


Ces remarques nous explique l’histoire des origines de l’algèbre.

Les savants grecs ne pouvaient pas être de bons algébristes : ils prétendaient, en effet, saisir par l’intuition, voir d’une vue intellectuelle directe, des êtres mathématiques aussi réels ou plus réels que les objets sensibles ; comment, dès lors, auraient-ils pu oublier ces êtres parfaits, et faire table rase de la réalité pour opérer sur des symboles ? Sans doute les géomètres grecs possédaient-ils les principaux éléments dont devaient se servir les modernes pour constituer l’algèbre. Ils avaient inventé des méthodes de construction géométrique qui équivalaient à peu près à celle de notre calcul algébrique élémentaire. Mais ils n’avaient pas voulu reconnaître le parti qu’on peut tirer de ces méthodes lorsqu’on en généralise et qu’on en systématise l’emploi. Les véritables promoteurs de l’algèbre furent, en Grèce, ces logisticiens ou calculeurs, que Platon mettait au ban de la science, et l’une des principales innovations de l’Alexandrin Diophante — en qui l’on veut voir le premier algébriste — consista simplement à appeler arithmétique ce que l’on prenait avant lui pour de la logistique. « Il a, dit Paul Tannery[2], intitulé son ouvrage Arithmetica alors que la matière en avait été jusqu’à lui considérée comme appartenant à la logistique. Cette innovation est plus qu’une simple affaire de mots ; elle révèle le sentiment très juste que la matière dont il s’agit appartient à

  1. Colebrooke (Algebra from the sanscrit of Brahmagupta and Bhaskara), 1817, p. 325.
  2. La Géométrie grecque, 1888, p. 50.