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la science abstraite et primordiale et non pas à une science appliquée et concrète ».

Au rebours des savants grecs, les Hindous furent avant tout des calculateurs[1]. Esprits pratiques, ils ne se préoccupaient point de rendre leurs théories rigoureuses et belles. Il n’y a pas, dans leurs traités, de théorie scientifique à proprement parler, mais seulement des règles, formulées en vers le plus souvent, et sans démonstration. — « Dis-moi[2], chère et belle Lilavati — ainsi s’exprime Bhaskara — toi qui as les yeux comme ceux du faon, dis-moi quoi est le résultat de la multiplication, etc. ». Et la réponse suit. Bhaskara nous donne, sur ce ton, un ensemble de règles, qui constituent « une facile méthode de calcul, charmante par son élégance, claire, concise, douce, correcte, agréable à apprendre ». — Un recueil de recettes et de formules, voilà ce qu’est la science pour les Hindous. C’est pourquoi ils furent d’habiles algébristes[3].

  1. La science hindoue subit-elle indirectement des influences grecques ? C’est là une question obscure que nous ne saurions trancher ; il est fort possible que l’on ait eu aux Indes quelques écho des travaux de Diophante. L’algèbre dont nous nous occupons ici est celle qui se développa dans l’Inde pendant l’ère chrétienne et dont les trois principaux représentants sont Aryabhata (5e siècle), Brahmagoupta (7e siècle), Bhaskara (12esiècle).
  2. Colebrooke, op. cit., (supra, p. 87, note 1), p. 6. Le traité intitulé Lilavati (La charmante) est dédié à une femme à laquelle Bhaskara s’adresse.
  3. L’algèbre des Hindous n’est point une algèbre spécieuse au sens de Viète (supra, p. 84, note 1) : nous voulons dire que dans cette algèbre les nombres ne sont point systématiquement remplacés par des lettres. Ce caractère de la science hindoue, est souligné par les historiens des mathématiques qui veulent voir dans l’emploi des symboles littéraux une condition essentielle de l’algèbre [cf. Nesselmann, Gesch. d. Algebra d. Griechen, passim ; voir aussi Heath, Diophantus of Alexandria (Cambridge), 1910, p. 49]. Nous croyons cependant