Aller au contenu

Page:Boutroux - Les principes de l’analyse mathématique.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et le rapprochement si suggestif que nous avons établi entre les opérations arithmétiques et les opérations faites sur des grandeurs, ne s’est-on pas bien longtemps appliqué à le masquer au lieu de le mettre en lumière ? L’un des plus grands algébristes du xvie siècle, Tartaglia[1], reproche à un traducteur d’Euclide d’avoir indifféremment employé dans un mème sens les mots multiplicare et ducere. Il faut, dit-il, distinguer entre ces deux mots : le premier se dira des nombres ainsi l’on regardera comme le plus petit multiplicateur tandis que ducere conviendra s’il s’agit de grandeurs géométriques. Pareillement, pour désigner l’opération de la division, on devra dire partire ou misurare suivant que l’on parlera de nombres ou de grandeurs.

Cinquante ans plus tard, Viète[2] considère encore la science des nombres et celle des grandeurs comme ayant des règles parallèles mais distinctes. C’est à Descartes que revient le mérite d’avoir affirmé, sans restriction, l’identité du calcul numérique et du calcul géométrique[3] :

« Et comme toute l’arithmétique, — dit Descartes[4] dans un langage précis et définitif, — n’est composée que de quatre opérations, qui sont l’addition, la soustraction, la multiplication, la division, et l’extraction des racines qu’on peut prendre pour une espèce de division, ainsi n’a-t-on autre chose à faire, en géométrie, touchant les lignes qu’on cherche, pour les préparer à être connues, que leur en ajouter d’autres, ou en ôter ; ou bien, en avant


    nombres phialites, ou relatifs aux fioles, des nombres mélites, ou relatifs aux troupeaux (ou aux pommes). Et c’est pourquoi les problèmes concerunnt les grandeurs étaient énoncés sous forme concrète et non sous forme théorique : ce qui est pour nous « la résolution d’une équation de tel ou tel type » (infra, Deux. liv., chap. 1) était autrefois « la solution du problème des bœufs », du « problème des arbres », du « problème des lapins », du « problème des sept vieilles femmes ». du « problème des oiseaux », voir Luca Pacivolo, Summa de Arithmetica, passim. Semblable terminologie se retrouve chez les Hindous et chez les Arabes, pendant tout le Moyen Age et au début de la Renaissance.

  1. General Trattato. liv. II, fil. 17. Cf. le début de l’Algèbre d’Omar al khayyam, cité au no 273.
  2. In artem analyticam isagoge, 1551, ch. iv.
  3. Vide supra, p. 110, note 1. Sur l’histoire du calcul géométrique avant Descartes, voir Deux. liv., ch. III, § 1.
  4. La Géométrie, liv. 1 (Œuv., t. VI, p. 369.