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Essai sur la Constitution en France depuis 1789, un bel éloge de Lamartine ; « qui eut, dit-il, la gloire, rare chez un homme de gouvernement, d’être au pouvoir ce qu’il était avant d’y monter, de ne pas trahir, ni même amoindrir un de ses principes », une solide étude sur les Rapports de la morale et de la politique, l’un des sujets qu’il devait plus tard développer avec prédilection.

Dans son commerce avec Michel (de Bourges), dans ses travaux sur la politique, Janet avait pu satisfaire l’une des deux principales exigences de sa nature morale : le besoin de la liberté dans l’action honnête et généreuse. La seconde était le besoin de la vie de famille. Loin de l’en déshabituer, l’internat de la pension et de l’École Normale la lui avait rendue plus désirable encore. Il ne tarda pas à la trouver, sous la forme la plus charmante et la plus parfaite. Son rêve, à cet égard, datait de loin. Il n’avait que neuf ans. Ses parents vinrent habiter, rue de l’Ancienne-Comédie, en face d’une de ses tantes. Madame Desoer, veuve d’un éditeur distingué. Un soir, en s’endormant, il se dit que sa petite cousine serait un jour sa femme. Si jeune qu’il fût, il était déjà lui-même un cœur pur et simple, qui ne se donnait qu’à ses pareils, mais qui se donnait définitivement. Il ne vit sa cousine que de loin en loin, mais jamais il n’oublia cette impression d’enfance. Or ce fut le 4 janvier 1848 que s’accomplit cette union, si ardemment souhaitée. Combien elle combla les vœux de ce noble esprit, en qui le besoin d’aimer et de répandre le bonheur autour de lui était aussi profond que le souci de connaître et de propager la vérité, à quel point elle doubla sa vie austère de poésie, de joie, de cette douceur infinie qu’exhalent, comme un parfum, l’amour sans réserve et l’absolue confiance, comment elle contribua à l’épanouissement de ses rares facultés, par l’activité nouvelle que l’affection, le bonheur, de communs et chers devoirs, l’harmonie des cœurs et des volontés lui communiquèrent, c’est ce qu’a compris d’abord quiconque a entrevu cette admirable intimité.

Reçu agrégé des Facultés et docteur ès lettres en cette même année 1848, il se rendit à Strasbourg, où il était envoyé comme professeur à la Faculté des lettres, dans des sentiments bien différents de ceux qu’il avait éprouvés en allant à Bourges. Il ne redoutait plus l’ennui de la vie de province. La famille et le bonheur, désormais, l’accompagnaient partout.

Il fut, d’ailleurs, promptement apprécie et fêté. Il ouvrit son cours en janvier 1849. Il avait pris pour sujet, sous l’impulsion des événements et aussi à propos d’une question mise au concours par l’Académie des sciences morales et poétiques, l’histoire des doctrines morales et politiques. Il eut tout de suite un succès marqué. Pendant deux ans se pressa pour l’entendre un nombreux et fidèle auditoire, comme de longtemps on n’en avait vu à la Faculté. Le beau livre qui résulta de cet enseignement fut couronné par l’Académie des sciences morales et politiques (1853).

Quelques années après, en 1855, la Faculté, désireuse de se rapprocher du public, s’étant installée au cœur de la ville, à la Mairie, M. Janet donna, dans la grande salle, une série de leçons sur la famille. Cette fois, le succès fut un triomphe. À la suite de la première leçon, qu’avaient à plusieurs reprises interrompue les applaudissements enthousiastes d’un public ému autant que charmé, un auditeur recueillit cette appréciation : « Si de telles paroles n’améliorent pas, c’est à désespérer de l’humanité. » Le lendemain, les journaux de