Page:Boutroux - Pascal.djvu/83

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l’action et les œuvres, une coutume nouvelle, et réduire en quelque sorte du dehors ce cœur qui se refusait à obéir de lui-même, s’était révélé comme l’image du travail que la grâce opérait dans son intérieur. Il avait cru commencer, mais c’est Dieu qui, en réalité, était venu le chercher, et qui, de plus en plus sensiblement, l’attirait à lui.

Et il découvrait que la pire conséquence du péché, c’est de nous aveugler sur notre état. À la différence du prisonnier, qui sait qu’il est en prison, nous n’apercevons nos liens que dans l’instant où ils se brisent. C’est le pardon qui nous révèle nos péchés, c’est la vraie lumière et la vraie joie qui font éditer le néant de notre science et de nos plaisirs. Plus grand est notre dénûment, moins nous avons le sentiment de ce qui nous manque. Nous aimons notre servitude, et nous employons toutes nos forces à y persévérer. Mais, à peine sommes-nous délivrés, que nous ne pouvons plus comprendre notre insouciance passée. Que l’homme donc ne s’attarde point avec complaisance au point de perfection où, d’aventure, il lui a été donné d’arriver. Combien ce degré serait bas à ses propres yeux, s’il pouvait le considérer du terme suprême où il doit prétendre !

Jusqu’ici Pascal a employé successivement, pour parvenir à la foi, la raison et la coutume. Certes, il a senti qu’un changement s’opérait en lui. Non content de mépriser le monde, il commence à aimer Dieu. Pourtant, en fait, il ne se décide pas à quitter le monde. Il allègue maint prétexte ; il invoque, entre autres raisons, sa santé, très mauvaise en