Aller au contenu

Page:Bouvier - Les Mystères du confessionnal, 1875.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séductions. Mais le prêtre Arrighone intervint encore ; il vendit à beaux deniers comptant à l’amoureux, son pénitent, un talisman qui avait, prétendait-il, la vertu de faire céder les plus rebelles et de les mettre à la merci de celui qui en était porteur.

Le véritable talisman du prêtre était la puissance qu’il exerçait directement et indirectement sur la sœur Virginie par le confessionnal.

« Je me sentais comme poussée par une force vraiment démoniaque vers Osio, — déclara la pauvre religieuse dans l’interrogatoire qu’elle eût à subir. — Pour tout l’or et le trône des Espagnes, je n’aurais pas voulu céder à ses instances. J’allai en pèlerinage ; je me châtiai moi-même : mon sang coula sous la discipline ; mais je luttai en vain contre cet amour ; il envahissait tout mon être. L’image de cet homme fatal était dans mon cœur, son souvenir le remplissait. Osio m’apparaissait en songe, et je croyais encore le voir devant moi à mon réveil. Un jour, il me supplia de déposer un baiser sur une bague et de toucher de la langue, — colla lingua — un bijou en or entouré de diamants, qu’il porta ensuite à ses lèvres. C’était une amulette que Arrighone lui avait fournie, et qui avait été trempée dans l’eau bénite. À partir de ce moment je cessai de lui résister. Il me donna aussi un livre de la Bibliothèque de ce même Arrighone où il était dit qu’un laïque peut entrer sans péché dans la cellule d’une religieuse et que tout le péché consiste pour elle à en sortir. J’étais sous une impression de terreur et de désespoir ; je voulais en finir avec la vie. »

Le procès relate, en effet, que le curé avait magnétisé, — ou baptisé, comme on disait alors, — ces objets et les avait remis à Osio. Or, celui-ci était venu au parloir des religieuses pendant la nuit, accompagné par Arrighone, qui resta au dehors pour faire le guet pendant l’entrevue des amants. Osio avait baisé et touché légèrement de la langue les bijoux, puis les avait remis à sœur Virginie afin qu’elle les baisât à son tour, comme elle le fit.

Mais l’audace du curé Arrighone ne s’arrête pas là. Par un singulier jeu des passions, après avoir jeté la nonne dans les bras de son ami Osio, il en devint, à son tour, éperdûment amoureux, et il voulut la posséder. C’est elle-même qui dénonce le fait dans l’interrogatoire.

« Arrighone me dit un jour que c’était lui qui avait conseillé à Osio de m’écrire comme il l’avait fait, pour excuser sa conduite ; mais que si la lettre avait été écrite au nom de Osio, l’amoureux c’était lui Arrighone, et il me fit sa déclaration. Je reçus fort mal ses protestations. Je suis informée, homme infâme et méprisable, lui répliquai-je avec indignation, que ton effronterie est arrivée à ce point que tu as mis en œuvre tes machinations habituelles contre mon honneur. Ce qui m’étonne, c’est que la justice de Dieu ne fasse pas étinceler le feu du ciel devant toi, et ne te fasse pas entraîner par cent couples de diables quand tu montes à l’autel. Sache pourtant, et je le jure par le très saint baptême que j’ai reçu et par le rang que je tiens dans le monde, que je veux apprendre à ceux qui sont dupes de ton hypocrisie, combien tu es acharné contre moi. Je te ferai connaître pour l’homme pervers et sacrilége que tu es, car tu es arrivé à commettre toutes les insolences, jusqu’à la présomption de tenter même ici les épouses de Jésus-Christ, pour déshonorer notre monastère. Je garde soigneusement les lettres que tu as eu l’audace d’écrire comme preuves de ce qui se passe. »

Virginie faisait allusion aux relations du curé Arrighone avec sœur Candide et aux lettres qu’il avait écrites à cette religieuse. L’acte d’accusation relaté au procès contient en effet les passages suivants conformes à la déposition de la religieuse :

« 4o… Que ledit Arrighone demanda à sœur Virginie d’entretenir avec elle, pour son propre compte, un commerce amoureux, en lui envoyant des lettres et des vers, en la provoquant par ses discours au parloir, et en essayant toutes les voies pour atteindre ce but pervers ;

5o Que ledit Arrighone, pour son propre compte, depuis quatre ans — 1603 — entretient des relations criminelles avec la sœur Candide Colombe, religieuse professe dans Ste Marguerite ; qu’il lui écrivait beaucoup de lettres d’amour, qu’il en recevait des réponses et, ce qui est pire et plus détestable…… »

Qu’était donc ce pire et détestable ? Virginie nous le fait connaître dans son interrogatoire.

« Arrighone, après m’avoir persécutée par des lettres que je déchirai un jour en sa présence, commença à se lier avec plusieurs de nos sœurs ; il continua ses relations sacriléges avec la sœur Candide ; il persuada aux unes et aux autres d’aller la nuit au parloir pour causer avec lui. » Au moment où la sœur Virginie fut informée de la correspondance qui existait entre le prêtre Arrighone et les autres religieuses, elle fit des reproches au jardinier du monastère, Dominique, qui remettait les lettres, et le fit congédier. « Arrighone en fut courroucé au dernier point et me voua depuis une haine mortelle. »

Les manœuvres du curé Arrighone eurent le fatal dénouement que révèle le procès ecclésiastique ; la sœur Virginie était devenue la maîtresse d’un jeune seigneur Italien, Osio ; une autre religieuse entretenait des relations criminelles avec le curé confesseur ; trois nonnes complaisantes ou complices des débordements du prêtre avaient aidé à un meurtre abominable sur l’une de leurs compagnes ; puis deux tentatives d’assassinat sur les religieuses fugitives par Osio, et pour dernière scène de ce long drame, l’exécution de l’amant de la sœur Virginie.

Débauches dans un lieu réputé saint, chez les catholiques, dans un couvent ; scandales, avortements, trafic sacrilége, fornications sur les marches de l’autel, le sang humain versé ; une nonne étranglée et assommée, une autre jetée à la rivière, une autre précipitée dans un puits ; quatre religieuses murées dans leurs cellules, c’est-à-dire enfermées vivantes dans leurs sépulcres ; un jeune et beau cavalier torturé et subissant le dernier supplice. Œuvres d’un prêtre, conséquences de la confession !