Page:Bove - Mes Amis.djvu/25

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Quand mon regard rencontre celui d’un locataire, je suis gêné.

Parfois, un linge blanc bouge derrière un rideau, à hauteur d’homme : quelqu’un se lave.

Je prends mon café, à côté de chez moi, dans un estaminet. Le zinc du comptoir est ondulé, au bord. On devine l’âge du bois sur le plancher lavé à l’eau claire. Un phonographe, qui marchait avant la guerre, est tourné vers le mur. On se demande ce qu’il fait là, puisqu’il ne fonctionne pas.

Le patron est aimable. Il est petit comme un soldat en queue de section. Il a un œil de verre qui imite si bien l’œil vrai, que je ne sais jamais quel est le bon — ce qui est ennuyeux. Il me semble qu’il se vexe quand je regarde son œil faux.

Il m’a assuré qu’il avait été blessé à la guerre : pourtant, on dit qu’il était déjà borgne en 1914.

Le brave homme se plaint continuellement. Le commerce ne va plus. Il a beau essuyer les verres devant les clients ; il a beau dire : « Merci, monsieur ; au revoir, monsieur ; laissez la porte », personne ne vient.