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VEUVAGE BLANC

la nôtre, étant à demi Bruyéroise, un chapitre plus sensationnel ?

« Ce grand nigaud d’Édouard… je veux dire Eddy, avait conçu une passion délirante pour certaine Dolorès ou Mercédès, première (et unique) chanteuse et danseuse espagnole — d’origine auvergnate — au beuglant select de la ville illustrée par son vase et ses haricots. Comme de juste, la señorita n’avait pas cru devoir tirer de sa jarretière le traditionnel poignard aux fins de se défendre contre les entreprises de ce bon jeune homme. Tout au rebours. Tant et si bien que les écus de Pépin père dansaient une cachucha non moins effrénée que les malagueñas, habañeras et autres séguedilles de cette étoile chorégraphique. Bref, pour extirper le mal dans sa racine, on a coupé les vivres à ce jeune cornichon, d’où rafraîchissement notable dans les sentiments de la demoiselle. Ensuite de quoi on l’a conduit à Bordeaux et expédié, tel un simple colis, au correspondant de la maison Pépin à Buenos-Ayres, où il va faire connaissance avec les moutons des pampas, dont jusqu’à présent il n’avait vu la laine que sur les broches de l’usine.

« Ce n’est pas potiner que dire quel coup en a reçu notre Julie. Car, bien que depuis quelques mois son flirt avec le jeune châtelain de Vorges se trouvât enrayé et pour cause, elle n’avait pas abandonné la partie, ayant, afin de l’entretenir au cours de l’hiver, accepté plusieurs invitations en ville chez les Pépin. Son humeur n’est pas sans avoir souffert de ce mécompte. En personne de tête, toutefois, elle le dis­simule assez bien.

« Je crains fort que cela tourne au profit de ce bellâtre de Costerousse. Il s’occupe beaucoup d’elle en ce moment et elle ne le regarde pas d’un œil défavorable. Or ce garçon m’a toujours profondément horripilé. C’est le Méridional dans toute son horreur,