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VEUVAGE BLANC

D’ailleurs ne laisse-t-il que des regrets. Tout le pays le tenait en affection et en vénération. Dans l’armée on ne l’avait pas oublié, car nombre d’officiers de tous grades sont venus aux funérailles, en sorte que, sans les honneurs militaires réguliers ni aucun apparat, la cérémonie a été vraiment grandiose et très touchante.

» Selon sa volonté expresse, il n’y a pas eu de fleurs et aussi avait-il proscrit les discours. Un de ses camarades toutefois — le commandant en chef, tu sais, un peu gros, qui avait été témoin au mariage — a cru pouvoir prononcer sur sa tombe quelques paroles, tellement émues que j’ai vu beaucoup de grosses moustaches qui remontaient dans le nez. Tu ne seras pas surpris d’apprendre que papa se tamponnait à tremper son mouchoir. Inutile de mentionner que je sanglotais. Avec maman nous n’avons pas quitté Louise, qui a tenu à l’accompagner jusqu’au bout. C’est inconcevable ce qu’il y a d’endurance dans cette petite femme d’apparence si délicate.

« Ainsi que c’était à prévoir, le testament, qui a été ouvert hier, l’institue légataire universelle. Avec sa pension cela lui fait dans les huit mille francs de rente, plus les avantages en nature de la maison, du jardin, de la petite réserve. Pas le Pérou, remarque Julie, condescendante, mais enfin de quoi vivre. Papa, qui n’a point l’esprit porté au grand ainsi que notre opulente sœur, estime que jolie, aimable, accomplie comme l’est Louise, cette modeste fortune — dont la moitié, à la vérité, est un revenu viager — lui permettra de se remarier dans d’excellentes conditions. J’ai jeté les hauts cris d’abord et je l’ai conspué fortement par un propos que je qualifiais d’affreux. Mais il m’a fait remarquer, avec beaucoup de sens, que mon indignation était enfantine. À moins de vingt-sept ans, elle ne va certainement pas se condamner au veuvage