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VEUVAGE BLANC

voudrais qu’elle respectât la mémoire de son père, et, malgré les circonstances atténuantes que j’invoque, serait-ce possible si elle apprenait que je me suis donné la mort dans la plénitude de mon sang-froid et de ma raison ?

« Tu voudras bien ensuite vaquer à ces lugubres soins qui sont le cortège de la mort.

« Sous ce pli cacheté tu trouveras cinq billets de mille francs — tout ce qu’il me reste de liquide. Je ne fais pas grand tort à mes créanciers en les soustrayant à leurs revendications pour te permettre de subvenir aux dépenses indispensables et premières. Car même mourir, cela coûte de l’argent, puisqu’il faut être enterré. Quant à l’arrangement de mes affaires, ce sera fort simple, hélas ! Je meurs insolvable et c’est terminé. Tu n’auras qu’à protéger dans la mesure du possible ma pauvre petite fille contre la meute hurlante qui va se ruer sur les miettes demeurant derrière mon cercueil. À cet égard, mieux que moi tu sais ce qu’il convient de faire.

« Je compte aussi que tu auras la bonté de lui donner un asile temporaire, puis dans l’avenir, pour elle si sombre, à l’assister de tout ton pouvoir. Là-dessus je n’ai rien à te dire de précis. C’est le douloureux aléa, c’est le fer rouge me mettant au cœur une plaie plus cruelle que celle dont tout à l’heure je vais avoir la tête trouée. Tu es père, Alcide. Ce que tu feras pour mon enfant, ce sera en pensant aux tiens et c’est dans les tiens que Dieu te le revaudra.

« Adieu, mon cher Alcide, mon vieux camarade des bons jours. Adieu et merci. Merci à toi, merci à ma cousine Léonie de qui je baise les mains en la priant d’être de moitié dans la bonne action pour laquelle puissent tous les bonheurs vous récompenser, vous et les vôtres.

« Amédée Fresnaye. »