Page:Bovet - Veuvage blanc, 1932.pdf/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
VEUVAGE BLANC

de l’austère et monotone routine de ses devoirs de soldat, ayant trouvé pour ses connaissances mathématiques un emploi plus rémunérateur dans l’industrie, le capitaine Fresnaye donnait sa démission et prenait la direction technique d’une des grandes raffineries de sucre de Saint-Quentin. Dans la nouvelle demeure, auprès des hautes cheminées fumeuses et des machines grinçantes, la mort déjà un jour était entrée. Et toutes les larmes qu’avait alors versées la fillette, après dix années remontent à la gorge de celle qui aujourd’hui se trouve orpheline pour la seconde fois.

Les fantômes enfin s’enfuient et font trêve. Les yeux appesantis se ferment, les ténèbres enveloppent et bercent le cerveau malade. Quand brutalement viennent les rouvrir ces invisibles tourmenteurs, elle croit avoir dormi longtemps et ce n’a été que quelques minutes.

À mesure cependant que s’avance la nuit, hantée de ces cauchemars éveillés, plus longues et plus lourdes deviennent les périodes d’assoupissement.

Au petit jour blême enfin, le sommeil, le vrai sommeil écrasant, semblable à celui dont on ne revient pas, prend pitié d’elle et la terrasse.



CHAPITRE III


À la gare de Laon, au pied de la ville juchée sur sa haute colline que coiffent les majestueuses tours carrées de la cathédrale, les voyageurs étaient attendus par une façon de char-à-bancs pouvant à la rigueur prétendre au nom de break.

— Bonjour, Clovis, répond le notaire au salut du domestique en capote grise et casquette de livrée. As-tu un char pour les bagages ?

— Oui, monsieur. Fructidor était venu apporter au