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VEUVAGE BLANC

chemin de fer des sacs de farine. Il prendra les malles.

Ayant remis le bulletin à un homme d’équipe, Me  Sigebert se tourne vers Louise et sous les voiles de crêpe il croit percevoir un faible sourire.

— Ce sont ces noms, lui dit-il, qui vous semblent drôles ? Vous en entendrez bien d’autres. Cette particularité locale fait la joie des étrangers.

— Mais, mon cousin, je ne suis pas une étrangère. C’est mon pays aussi à moi, le pays des miens. Seulement j’y ai si peu vécu et j’étais si petite…

— Cela servira quand même à vous y acclimater mieux. La race ne se perd jamais… Allons, vos petits colis sont chargés. Nous montons ?

Elle monte. La voiture file au trot vif d’un robuste ardennais, et bientôt c’est la grande route poudreuse allongeant son ruban de queue entre les champs de colza, de betteraves, d’artichauts. Dans la vaste plaine ondulée les cultures, très soignées, alternent avec les prairies et les pièces de luzerne, monotonie à peine rompue, de place en place, par quelque bouquet de bouleaux ou les lignes de grêles peupliers et de saules trapus ourlant les petits cours d’eau invisibles. Sur le large horizon bas, des collines faiblement indiquées s’estompent en bleu sourd dans des poussières lointaines. Louise regarde autour d’elle, vaguement. L’air pur et frais de ces grands espaces éventés met un peu de rose à ses joues pâles.

— Pas bien beau, notre pays, remarque Me  Sigebert, mais un bon pays quand même. Et puis c’est ici le noyau de la France, l’ancien royaume de Neustrie, le berceau des Capétiens, le domaine de Robert le Fort, autour duquel se sont, d’âge en âge, soudées les provinces dont l’agrégat a fini par constituer ce royaume qu’on disait au vieux temps être le premier après celui de Dieu.

— L’Île-de-France, précise Louise. C’est un beau nom.