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VEUVAGE BLANC

— Nous en sommes fiers et nous nous targuons de celui de « Français », comme nos voisins sont Picards et Champenois. Oui, oui, ma petite cousine, vous êtes « Française ». Mon grand-père, Modeste Sigebert, avait une sœur qui épousa votre bisaïeul, le docteur Fresnaye, de Château-Thierry, un jeune chirurgien des armées. À la Restauration, il s’est fixé dans sa ville natale, dont il a été maire pendant toute la monarchie de Juillet. Et près d’un demi-siècle durant il y exerça.

— Il est mort à quatre-vingt-six ans, n’est-ce pas, d’une attaque d’apoplexie, lors de l’entrée des Prussiens dans la ville ?

— Depuis Craonne et Montmirail il ne les avait pas vus. Cette nouvelle invasion a été trop pour lui.

— C’est bien mon arrière-grand’mère qui avait eu une aventure avec les Cosaques ?…

— Certes… Le fait de guerre de la grand’tante Palmyre, c’est la gloire de la famille. Toute jeune femme, pendant que son mari faisait la campagne de 1814, elle habitait chez son frère, alors titulaire de l’étude dont, après une génération intermédiaire, a hérité votre serviteur. Un matin, comme elle se trouvait dans le verger, arrive une patrouille de mangeurs de chandelle, tout vermineux sur leurs petits chevaux hirsutes, et ils commencent à faire une razzia de poules. Au lieu de se sauver, elle leur crie des injures, et elle déchaîne contre eux le chien de garde, tant et si bien qu’une de ces brutes la poursuit et la blesse d’un coup de lance. Trois mois plus tard, votre grand-père venait au monde… Ah ! les femmes n’avaient pas froid aux yeux dans ce temps-là.

— Et dans notre pays. Papa me disait souvent que c’est une pépinière de bons soldats.

— Oui, répondit Me  Sigebert. Nos paysans sont bambocheurs, querelleurs et braillards, quoique pas mauvais diables au fond, mais fiers, hardis, durs à la