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VEUVAGE BLANC

les bonnes âmes… Il lui faudrait trouver un homme d’esprit tellement supérieur…

Julie, au contraire, était la beauté de la famille. Beauté très relative, existant surtout dans sa propre imagination ainsi que l’aveuglement de ses parents. Avec sa maigreur, trop fortement charpentée pour être élégante — encore qu’au moyen d’artifices de toilettes et d’attitudes étudiées elle s’efforçât de la rendre serpentine — son teint mat que d’aucuns déclaraient jaune, son profil de cavale, les yeux noirs, gros et ronds qui, moins vides de toute pensée, eussent constitué son meilleur atout, elle croyait fermement réaliser le type de la brune ardente qui, en littérature, exerce de tels ravages dans les cœurs masculins. Le roman, sans doute, n’est qu’une image imparfaite de la vie, car, sur ses vingt-huit ans, elle en était à attendre l’épouseur sortable. Peut-être nourrissait-elle des prétentions excessives. Volontiers elle le laissait croire, pensant ainsi se conférer du prestige en même temps qu’elle y trouvait un motif plausible à la prolongation de son célibat.

Tout à fait dans le train, Julie ne craignait pas de parler ce qui de l’argot parisien pénètre dans les provinces, passablement en retard et souvent à côté. Aux fins de mieux fasciner les rares jeunes hommes du pays, elle s’adonnait aux sports : patinage, croquet — encore en faveur dans ces régions attardées — tennis enfin, d’importation récente, dont elle s’était fait l’apôtre, ayant fondé un club auquel appartenait un court créé en un coin de l’emplacement des anciens remparts, Mlle Julie Sigebert était une personne considérable, quoique, comme toute royauté, la sienne n’allât pas sans opposition.

Quant à Ludivine, petite, maigriote, roussote, louchonne, elle détenait, sans illusion et sans conteste, l’emploi de laideron, faisant elle-même les honneurs