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VEUVAGE BLANC

perron, son fils, très rassuré, car il connaissait la plantureuse chère de la maison paternelle, lui criait :

— Nous montons dans ma chambre pour nous épousseter.

Et cela jeta Mme Sigebert dans une nouvelle surexcitation.

— Justement on vient de la passer à l’encaustique et je crains que ce ne soit pas sec… Que c’est donc malheureux… Laisse la fenêtre ouverte au moins, car vous prendriez mal à la tête.

La présence des deux jeunes hommes donna beaucoup d’animation au repas un peu retardé, que la calme activité de Fédora appuyant celle, exubérante, de sa maîtresse, avait corsé suffisamment pour ce surcroît de convives bien endentés.

Très émue d’abord par la pensée de recevoir un Anglais à sa table, la famille s’était rassérénée en constatant qu’il parlait couramment le français. Ce fut pour le notaire l’occasion de placer sa petite conférence sur l’origine du Canada, cette Nouvelle-France où, dès François Ier, avait été arboré le drapeau blanc, ces « quelques arpents de neige », abandonnés par l’impertinente futilité de la monarchie en décadence. Comme toutefois l’érudition dont il se piquait ne dédaignait nulle occasion de s’instruire, le jeune étranger fut mis à rude épreuve par d’abondantes questions.

Ainsi apprit-on que son père possédait quelque part, entre les lacs Manitoba et Winnipeg, des pâturages s’étendant sur un nombre d’acres dont l’énoncé manqua jeter en apoplexie l’officier ministériel. Comme Mme Sigebert soupirait que c’est bien loin : — Mais non, rectifia Randolph Curtis : du Havre à Québec, neuf jours de navigation, dont trois sur le Saint-Laurent. Puis quelques quarante heures de transcontinental, ce ruban d’acier qui, sur une longueur de douze cents lieues, réalise, après tantôt quatre siècles,