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VEUVAGE BLANC

le rêve de Jacques Cartier cherchant vers l’ouest la route de la Chine. Ensuite, à cheval ou en char à bœufs, un peu plus que la distance de Laon à Paris, et on est rendu. Une promenade.

Beau pays ? Certes. Et le patriotisme colonial, plus ardent encore que celui de la métropole britannique, fit luire une flamme bleue aux grands yeux couleur ciel d’hiver du Canadien. Des eaux magnifiques. La prairie aux horizons infinis où, pendant des milles et des milles, on galope sans rencontrer trace d’humanité. Parmi les herbes hautes comme ça, des troupeaux de dix, de vingt mille têtes, à l’état quasiment sauvage. Et les forêts aux futaies gigantesques. Et la chasse au terrible ours grizzly dans les Montagnes Rocheuses… Dans cet État, quinze fois vaste comme la France et huit fois moins peuplé, on trouve des solitudes inexplorées encore. Précisément arrivait-il d’une excursion vers l’Athabasca et au grand lac de l’Esclave. Très amusant. Pas aussi exciting néanmoins que de chercher les bêtes à fourrures dans les régions glacées du Labrador… Les petits yeux d’Aurore s’écarquillèrent, car ainsi prenait une réalité vivante son collet de vison.

De toutes ces choses, Randolph Curtis parlait avec la simplicité positive et tranquille de l’Anglais qui dédaigne toute amplification, le fait à ses yeux valant uniquement par soi-même, et pour qui ce serait acte de mauvais goût que faire état des privations endurées, des périls courus.

La brune Julie était passablement émoustillée par la présence d’un jeune célibataire d’aussi bonne mine et s’appliquait en son honneur à ses plus serpentines attitudes, cherchant à monopoliser son attention.

Très beau gars vraiment, ce Randolph Curtis, dans la pureté du type anglo-saxon plus en muscles qu’en cervelle, les épaules d’athlète emmanchées d’un cou