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VEUVAGE BLANC

de gladiateur faisant contraste avec le clair teint de fille du masque aux traits fins, un peu aigus, strictement rasé, aux cheveux soyeux couleur de blé mûr, bas plantés sur le front étroit. Mais la physionomie se virilisait par la coupe puissante de la mâchoire, meublée de dents de loup entre les lèvres fraîches. Enfin, s’alliant à cet aspect de vigueur, d’endurance, d’énergie latente du jeune animal bien en forme, quelque chose de cette ingénuité prêtée aux héros impavides de la mythologie germanique.

Ludivine, elle, n’avait d’yeux que pour son frère, de qui aussi était-elle notoirement la favorite. Ce sentiment d’ordinaire se traduisait en taquineries réciproques dans lesquelles il n’avait pas souvent le dessus. Mais en ce moment Claude ne s’occupait point de sa sœur, absorbé qu’il était par les descriptions et les récits de son camarade, et les réchauffant de commentaires enthousiastes. Le jeune étranger avait révolutionné ce paisible intérieur. Et quand on fut passé au jardin pour prendre le café, Mme Sigebert mit une cordialité toute particulière à le prier d’y demeurer pendant le congé que prenait son fils.

— C’est très aimable de vous, répondit Randolph Curlis, de qui le franco-canadien parfois s’émaillait d’anglicismes.

Elle s’étonna de voir accepter comme allant de soi une invitation qui, selon les us de la vieille politesse bourgeoise, aurait dû provoquer un combat plus ou moins prolongé, quoique d’issue certaine. Mme Sigebert ignorait que l’hospitalité provinciale est peu de chose auprès de celle des pays d’outremer.

— Je ne vous cacherai pas, maman, fit Claude, que, prévoyant vos bonnes intentions, je l’avais engagé à mettre sa valise au chemin de fer avec la mienne. D’ici ce soir on trouvera bien une occasion pour les faire prendre.

Mais elle ne l’entendait plus. Déjà elle avait appelé