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VEUVAGE BLANC

Ils étaient parvenus auprès de la vieille église aux gargouilles réputées. Une forte commère qui sortait d’une masure accolée à l’abside leur donna le bonjour.

— Ça va, Orphise ? lui demanda Claude. Et votre homme, il fait toujours ses farces ?

— Ne m’en parlez pas, monsieur. Ce galvaudeux-là, figurez-vous, était de noce samedi à Montbérault. Il est rentré saoûl comme la bourrique à Robespierre. Au moment de sonner la première messe, j’ai eu beau taper dessus, pas moyen de le réveiller. Alors, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai enfilé ses culottes et je suis montée dans le clocher où toute la sainte matinée, monsieur, j’ai sonné que je te sonne sonneras-tu. Il ne s’est remis sur ses quilles que pour vêpres.

— À la bonne heure, voilà une maîtresse femme qui fait honneur au sexe. J’espère que pour le relever du péché de paresse, vous lui avez flanqué une bonne tournée… Il faut vous dire, cousine, que notre excellent sonneur Virgile, quand il est dans les vignes du Seigneur, s’oublie parfois à cogner sur sa femme. Mais après, ce qu’elle se rattrape… Et il tend le dos, car une fois dégrisé, il n’y a pas plus doux que lui. Ils font quand même très bon ménage, n’est-ce pas, Orphise ?

— Pardi ! ce n’est pas pour une ribotte par-ci par­ là qu’on va se fâcher ensemble.

— Des types, ces paysans « français », remarqua Claude quand ils se furent éloignés. Il n’y a qu’eux ici qui aient conservé de la couleur. Naguère, quand la province était vraiment et foncièrement province, ignorant les singeries parisiennes et les anglomanies de ces pécores, soit dit sans offenser Julie, peut-être notre bourgeoisie était-elle plus intéressante.

— À en juger d’après ma bisaïeule Fresnaye…

— La grand’tante Palmyre et sa blessure de guerre ?… Ah ! oui, une vraie luronne, on peut le dire… Entre temps elle a donné le jour à quatorze enfants.