Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/147

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avoir trente ans.

« J’en ai pourtant davantage, reprit la comtesse en souriant doucement, tournant les yeux méthodiquement, & mordant dans sa lévre pour la rendre plus vermeille. Je n’ai point, continua-t-elle, dormi la nuit passée : je me faisois peur à moi-même ce matin dans mon miroir. En vérité, j’avois résolu de ne me pas montrer aujourd’hui. Il a fallu que l’envie de voir bonne compagnie m’ait déterminée à sortir. » Nous aurions perdu infiniment, reprit ce petit-maître qui l’avoit déchirée un instant auparavant ; car personne, Madame, ne répand plus d’enjouement que vous dans une assemblée. J’ose vous le jurer avec sincérité ; j’aime mieux une des petites histoires qu’il vous plaît de nous raconter quelquefois que le meilleur conte de Bocace & de la Fontaine.

J’étois étonné de ce que j’entendois. Cette dissimulation me paroissoit une perfidie insupportable. Je ne pouvois approuver qu’on eût pris plaisir à répandre un ridicule sur une personne, avec laquelle on vivoit journellement, & à qui on donnoit le titre d’amie. Mais j’étois encore plus révolté des louanges déplacées qu’on lui prodiguoit. Je les recevois comme des injures d’autant plus sanglantes, qu’elles enfermoient une