Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/212

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lui dirent qu’on vouloit les empêcher d’aller chez le saint. Ce juge les renvoya, & ne voulut rien décider. Cette affaire ayant fait éclat, le dervis en fut instruit ; il résolut d’en tirer avantage. Il s’en falloit bien qu’il fût aussi dévot qu’il le paroissoit ; & parmi les femmes qui l’étoient allé voir, plus de trois auroient pu certifier ce fait. Il y avoit un cimetiere auprès de son hermitage. Il ouvrit la tombe d’un mort qu’on avoit nouvellement enterré : il fit eunuque ce cadavre ; & ce qu’il lui avoit coupé fut pendu dans sa cellule, auprès du chevet de son lit, entre deux sentences de l’alcoran. Il s’enveloppa ensuite dans son caban, & se coucha. Les premiers qui vinrent le visiter ayant apperçu les débris de cette opération, en furent dans une grande surprise. J’ai voulu, dit le dervis, ôter tout sujet à la médisance, & me mettre en état d’instruire librement tout le beau sexe. Cette action du dervis redoubla l’estime qu’on avoit pour lui. Peu s’en fallut qu’on ne lapidât les maris qui avoient occasionné la pieuse action du solitaire. Les femmes retournerent en foule chez lui. Le dervis en désabusa quelques-unes ; & les époux n’en eurent aucun soupçon. Il jouit pendant plusieurs années de sa réputation ; mais enfin la jalousie ruina ses affaires.