Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/216

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de condition, peu s’en faut qu’il ne se le persuade à lui-même. Il trouve des généalogistes prêts à faire l’histoire de sa maison, & des poëtes affamés qui prostituent leurs plumes à le louer : & s’il veut être le héros d’un poëme épique, en bien payant l’auteur, il sera chanté comme Achille & comme Enée.

Ces honneurs & ces biens prodigués à des gens qui le méritent si peu, sont une des choses qui m’ont le plus surpris à Paris. La façon de penser des Mahométans est bien plus sensée. Chez eux la seule vertu mene aux grandeurs. Il n’est d’autre noblesse que celle qu’on acquiert par ses actions & par ses talens. Le fils d’un visir, qui n’est pas digne d’occuper un emploi honorable, reste souvent dans un rang obscur ; & celui d’un savetier, s’il a du mérite, peut être élevé à cette éminente dignité. Considere, mon cher Isaac, combien cette maxime est plus utile au bien de l’état & de la patrie. Elle encourage tous les citoyens à se rendre dignes des honneurs. Elle leur éleve le courage, par l’espérance de pouvoir atteindre au plus haut rang. Ils se portent aux belles actions avec d’autant plus d’espérance & de fermeté, qu’ils savent que la naissance n’est point un défaut qui leur ferme la porte des honneurs.