Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/347

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bienheureux. Il fera une pompeuse description du serrail céleste, & des femmes que les bons anges m’auront préparées. Il assurera qu’elles sont toujours vierges, & que je goûterai avec elles des plaisirs délicieux : tandis qu’en France & en Allemagne, les moines s’enrhumeront à force de déclarer contre mon changement. L’un racontera les coups du fouet qu’Astaroth m’a donnés en arrivant dans l’infernal séjour. L’autre comptera les tisons que Beelzébut a fait enflammer pour me griller, les différentes chaudieres d’huile bouillante où j’ai été plongé. Par un effet bizarre de l’esprit humain, je serai, après ma mort, heureux en deçà du Danube, & malheureux au delà. Vous, cher duc, dont je connois la tranquillité sur mon sort, & qui frappé de l’immense puissance de Dieu, en connoissez la bonté, conservez le souvenir d’un ami, qui, malgré ses malheurs, mérite votre estime, & même celle de ses ennemis. »

Un Juif, mon cher Monceca, mourant dans le sein d’Israël, n’écriroit pas autrement. Quoique le bacha ne se déclare point ouvertement, on apperçoit aisément ses sentiments. Si pourtant il étoit véritablement juif, ce seroit une