Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Au sortir du temple nazaréen, je demandai où je pourrois encore entendre jouer ce fameux musicien, qui m’avoit ravi & enchanté ? J’avois oui à Rome un nommé Motanari, élève du fameux Corelli, pere de l’harmonie. Il avoit autant d’exécution que ce Piémontois, mais il n’avoit ni son goût ni sa douceur, ni son coup d’archet. Les Grecs eussent à coup sûr élevé une statue à un si habile homme. Il se seroit trouvé nombre de gens qui auroient certifié qu’Appollon avoit couché avec sa mere. On lui eût soutenu à lui-même qu’il n’étoit pas le fils de son pere : & après sa mort, il eût eu dans Athènes les mêmes honneurs que Philippe de Néri à Turin. On me dit que je pourrois l’entendre jouer dans un concert qui se donne une fois toutes les semaines chez un riche particulier. Je priai un de mes amis de m’y conduire ; & j’ouis un autre musicien [1], qui, pour le violoncelle, égaloit Somis dans son instrument.

Il me sembloit que le ciel avoit fait ces deux musiciens l’un pour l’autre, qu’ils étoient seuls dignes de concerter ensemble. Ce que je trouvai de surprenant, fut le peu de belles voix que j’entendis. A peine y a-t-il une ou deux personnes dans Turin qui chantent passablement.

  1. Lanceta.