Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/19

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bornes. Hommes insensés ! vous prétendez donc être des seconds créateurs plus puissants que le premier ? Ne verrez-vous jamais que tout est ce qu’il doit être, et que tout est bien ; que tout est de Dieu, rien de vous, et qu’il est aussi difficile de créer une pensée que de créer un bras ou un œil ?

Le cours de ma vie est une preuve incontestable de ces vérités. Dès ma plus tendre enfance, on ne m’a parlé que d’amour pour la vertu, et d’horreur pour le vice. « Vous ne serez heureuse, me disait-on, qu’autant que vous pratiquerez les vertus chrétiennes et morales. Tout ce qui s’en éloigne est le vice ; le vice nous attire le mépris, et le mépris engendre la honte et le remords, qui en sont une suite. » Persuadée de la solidité de ces leçons, j’ai cherché de bonne foi, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, à me conduire d’après ces principes : nous allons voir comment j’ai réussi.


Je suis née dans la province de Vencerop. Mon père était un bon bourgeois, négociant de…, petite ville jolie, où tout inspire la joie et le plaisir ; la galanterie semble y former seule tout l’intérêt de la société. On y aime dès qu’on pense, et on n’y pense que pour se faciliter les moyens de goûter les douceurs de l’amour. Ma mère, qui était de…, ajoutait à