Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/101

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cette jeune fille qui vient de s’asseoir le cœur gros, blessée évidemment en quelque chose de très intime, et qui ne pourra être consolée que par sa bête de sœur dont la première parole va la faire sangloter.

— Vous prêtez à tout le monde votre sensibilité, et vous êtes d’une générosité incompréhensible envers cette petite que vous ne connaissez pas plus que moi !…

— Avouez que vous avez été méchant avec elle… J’ai suivi tous ses mouvements et les vôtres : je ne vous ai jamais vu une aussi mauvaise figure.

— Mais non : j’ai été seulement aussi banal et aussi sot que possible. N’est-ce pas même généreux de ma part, car au moins elle ne s’illusionnera pas sur la valeur du « parti » que je représente ?

— Taisez-vous, je vous déteste, allez-vous en !

— C’est à cause de vous que j’ai fait ce que vous me reprochez !

Il la regardait assise nonchalamment dans une berceuse d’osier. Ses magnifiques cheveux noirs avaient, sous les lampes à incandescence, des reflets bleuâtres et moirés que le léger balancement de son corps faisait mouvoir le long des épaisses torsades ondulées. Elle le regardait de ses grands yeux sombres embellis par l’émotion que lui donnaient confusément sa réelle pitié pour la jeune fille et un sourd plaisir tout de même, de le sentir transformé, devenu cruel, incivil et méchant à cause de sa passion pour elle. Elle avait aussi une véritable colère contre lui. Et elle contraignait tout cela en lui parlant du bout des dents, avec un sourire immobile et feint, sous les regards de tout le monde. Ses beaux bras étaient demi-nus, et sa main, ornée d’une simple perle qu’elle levait jusqu’à la lèvre pour en dissimuler les contradictions involontaires, ramenait constamment l’attention de son amant