Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/109

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— Ne le regrettez pas, fit Dompierre, car devant Madame de Chandoyseau, Lee ne saurait nous dire la forte déconvenue qu’il a certainement éprouvée ce soir dans quelque aventure galante ;… et il va nous la dire. Entre nous, voyons ! mon cher Lee…

Le poète ne les écoutait plus, et, jugeant avoir fait assez pour la politesse qu’il devait à M. de Chandoyseau en échange de son cigare, en le gratifiant de ce petit discours, il s’éloignait à longs pas, sans seulement souhaiter le bonsoir.

Son brusque passage au milieu de ces messieurs, et le retentissement de son étrange diatribe contre la femme leur laissait un malaise qui, toutefois, les avait sauvés de celui où les eût plongés l’épanchement du clergyman amoureux.

— C’est un homme bien original, dit M. de Chandoyseau, c’est un blasé !

— Tout au contraire, fit l’ami de l’Anglais, je ne serais pas étonné qu’il fût vierge…

— Est-ce possible ? s’écria le révérend Lovely.

— J’en ai connu bien d’autres ! mais ce qui me porte à supposer que celui-ci l’est, c’est que je connais de lui des poèmes contenant, à l’égard de la femme, une passion si extraordinaire, si farouche, si éperdue, que je ne crois aucun homme ayant touché la femme, capable d’atteindre un tel délire…

— Je ne vous comprends pas bien, fit M. de Chandoyseau.

— C’est, en second lieu, que je ne vis jamais personne ayant en vue une femme déterminée, s’élever contre elle avec une plus criante injustice, un plus amer dégoût. À qui pensait-il il n’y a qu’un instant ? Je n’en sais rien ; mais je puis vous affirmer qu’il avait en vue une ou plusieurs personnes dont il distinguait mentalement, mais très nettement, tel ou tel détail