Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les pointes de hauts cyprès, une ligne horizontale, claire, où l’on reconnaissait le lac. Des églantiers devaient ramper le long de la muraille, car un parfum de roses montait jusque dans les appartements.

Ils étaient assis depuis quelques minutes à la table d’hôte et achevaient avec indifférence un potage aux pâtes nationales, en compagnie d’une vingtaine de personnes que l’heure d’arrivée des bateaux réunissait à ce souper attardé, quand la porte du salon fut ouverte, avec une ostentation tout italienne, par un domestique en habit qui se courba au passage d’une jeune femme et d’une enfant. L’apparition fut si charmante, qu’il se fit un silence général suivi presque aussitôt par de légers chuchotements qui coururent d’un bout de la table à l’autre. Enfin, le mot de « beauté » en quatre ou cinq langues, fut prononcé par toutes les bouches.

Cet hommage général et spontané accrut l’émotion qu’éprouvait Gabriel à se retrouver tout à coup en présence de l’inconnue du Pincio et de la « Sirène » de la Reine-Marguerite. Il pâlit, et l’une de ses mains froissa la serviette comme s’il l’eût voulu déchirer, pendant que l’autre errait sur la nappe, touchant le pain, la fourchette, le verre, prise soudain de cette espèce de timidité spéciale aux membres de l’homme. Il se demandait s’il souhaitait que la jeune femme vînt se placer simplement à la table commune, où il pourrait lui parler, ou bien s’il ne préférait pas qu’elle demandât au maître d’hôtel un service spécial. C’était une sorte de défaillance en face de la réalisation d’un des plus violents désirs de sa vie.

Accoutumée à l’effet infaillible de sa beauté, la nouvelle venue s’avança très aise au milieu des discrètes exclamations. La fillette, seule, parut les remarquer,