Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/150

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dont le bord souple, couleur beige, dépassait de trois doigts la dentelle. C’était évidemment le chapeau de M. Belvidera. Il était tout naturel que ces deux chapeaux fussent unis là intimement, familièrement, sur une chaise où on les avait déposés en montant déjeuner, peut-être piqués l’un à l’autre de la même épingle. Les époux n’étaient pas là ; certainement ils arriveraient ensemble ; il les verrait en même temps apparaître dans le clair entre-bâillement de la porte, et ils approcheraient si près de lui qu’il devrait se lever pour saluer la jeune femme qui ne pourrait faire autrement que de lui présenter son mari. Il décida sur-le-champ de ne pas quitter sa place que l’on ne soit venu prendre les deux chapeaux.

Il entendait au milieu du silence le battement précipité de ses artères, car, malgré tous les efforts de sa volonté, il ne parvenait pas à maîtriser l’émotion que lui causait l’attente de la scène inévitable. Il souhaitait qu’elle fût prochaine et il l’attendait impatiemment dans l’endroit où il était le plus probable qu’elle eût la plus prompte occasion de se produire. Selon ses prévisions, le premier aspect de l’homme devait l’instruire sur les sentiments que sa femme éprouvait envers lui.

Il essayait en vain de se raisonner. Puisqu’elle avait trompé son mari, il était évident qu’elle ne l’aimait pas. Sans doute ! et telle est la conclusion du bon sens commun. Mais n’avait-il pas maintes fois observé les erreurs, — exceptionnelles à la vérité — de ces jugements instinctifs ? Pourquoi ne lui avait-elle jamais parlé de lui ? Pourquoi n’avait-elle pas obéi au mouvement si ordinaire qui porte la femme infidèle à flétrir, et si souvent à souiller avec un acharnement cruel, entre les bras de son amant, l’image importune de celui qu’elle trahit ? Il se creusait la mémoire ; il tournait