Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/151

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et retournait le sens des paroles qu’elle avait prononcées en mille circonstances ; il ne trouvait pas d’autre allusion vraisemblable que celle qu’elle avait eue, un matin, sur la terrasse d’Isola Bella, pendant une minute de songerie : « C’est la première fois, lui avait-elle dit, que la vue d’un beau paysage ne m’est pas gâtée par quelqu’un ». Était-ce en vertu d’une logique bien rigoureuse qu’il pouvait soupçonner le chevalier Belvidera d’être celui qui gâtait la vue des beaux paysages ? Assurément non. Et quand même c’eût été lui, il avait plusieurs moyens inégalement graves de produire ce résultat fâcheux. Était-ce par le fait de sa seule présence ? alors il pouvait être détesté. Était-ce par un défaut de sensibilité, par un mot malheureux ? une femme a tôt fait d’oublier ces peccadilles.

Aurait-elle pu tromper son mari sans cesser de l’aimer ? Telle était la question qu’il se posait, quand une voix connue, venant de l’autre extrémité du salon, lui fit relever les paupières, et il aperçut dans la pénombre de moins en moins épaisse, Mme de Chandoyseau assise, en une pose langoureuse, non loin du révérend Lovely. Solweg était au piano, dont elle caressait le clavier sans appuyer les doigts, en parcourant des yeux des partitions de musique.

Ses éternels témoins ! La Chandoyseau et Solweg seraient encore là quand Mme Belvidera et son mari, viendraient prendre leurs chapeaux sur la chaise de tapisserie ; elles le verraient se lever à l’approche de la jeune femme ; elles entendraient les phrases de politesse banale qu’il échangerait avec l’homme qui lui arrachait le cœur ; elles épieraient l’ébranlement de sa voix. L’une assisterait à l’entrevue avec la joie de sa méchanceté ; l’autre, avec son irritante compassion ?

Il voulut se lever et fuir, éviter à tout prix ces deux femmes. La vue des chapeaux superposés sur la chaise