Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/316

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— Tantôt, après déjeuner.

— Tantôt ! fit-il atterré ;… alors… c’est fini !

— Allons ! dit-elle, soyez raisonnable !

Dompierre monta chez lui. Il ne se sentait pas le cœur de déjeuner. La résignation et les paroles blessantes de sa maîtresse n’entamaient pas son amour et ne faisaient qu’exaspérer sa douleur. Les dernières semaines de sa liaison avaient été un enfer ; cependant il eût souhaité qu’elles durassent indéfiniment.

Il entendit Lee, qui demeurait enfermé dans sa chambre depuis la mort de Carlotta. Autre drame, terrible et muet peut-être pour toujours. Il s’accouda à la fenêtre et attendit que l’omnibus de l’hôtel fît crier le gravier des allées en venant s’ouvrir devant la porte du hall et ensevelir à jamais pour lui, dans sa boîte noire brillante, aux grosses lettres d’or, Luisa !

Luisa emportée, disparue ! dans un instant ! dans l’instant qui vient !…

Ces minutes d’exaspération ne sont pas assez longues. Et pourtant il lui a semblé que le temps du déjeuner n’en finissait pas. Mais qu’il voudrait donc demeurer là des jours, dans l’attente d’un moment où Luisa paraîtrait, oh ! même de loin, là-bas, au tournant d’une allée. Il écoute le petit bruit incessant du jet d’eau ; il n’a pas la force de tourner la tête du côté du massif des cyprès.

C’est fait. Il vient d’apercevoir la lourde voiture. Un cri retentit. Il a reconnu sa voix. C’est elle qui appelle la fillette :

— Luisa !

Ce cri se prolonge et se perd dans les jardins. Il voit de loin l’enfant qui court, les cheveux au vent.

Il descend. M. Belvidera vient à lui, les mains tendues ; il s’excuse de partir si rapidement ; il est rappelé par dépêche.