Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/94

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remit au révérend Lovely, sous le prétexte qu’il avait dû l’oublier.

— Nô ! nô ! dit le révérend, c’est à vous ! Si vous avez trouvé cette livre, il est à vous… Je souhaite, ajouta-t-il, que vous en fassiez le lectioure, car c’est une livre piou profitable encore en cette pays que partout ailleurs… Regâdez ! voilà encore le miousic qui vient ici presque tous les soirs ; eh bien ! cette chose nous fait mal, croyez-moi, cette chose est maôvaise !

Une troupe napolitaine, composée de quatre femmes et d’une dizaine d’hommes, préludaient en effet, devant l’hôtel, sur leurs violons et leurs mandolines, au concert quasi quotidien. Les personnes qui ne se lassaient pas de cette musique brûlante et de ces mouvements un peu bruyants, prenaient place dans le hall, autour de petites tables de marbre où l’on servait les glaces.

La troupe, après quelques chansons peu variées, se tria, et trois couples vinrent au milieu des assistants exécuter la tarentelle. Les hommes étaient tous beaux ; une des femmes, blonde, assez grande, et à la fois souple et gauche dans ses mouvements, avait un charme rude et puissant. Les couples tournaient dos à dos, se cherchant toujours du regard, maniant avec frénésie les castagnettes, et excités par les autre instruments, par les voix, et de temps à autre par les applaudissements du public. À la fin, les regards s’étant joints, ils demeuraient, la femme renversée en arrière, comme vaincue, l’homme penché sur elle, les yeux dans les yeux, flanc à flanc, les mains hautes tenant les castagnettes immobiles, semblant pâmés dans tout leur corps ; la bouche seule et les prunelles ardentes se dévorant à la courte distance du souffle.

La révérend Lovely, qui avait regardé le spectacle jusqu’à la fin, tourna soudain les talons et se dirigea