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ACQUISITIONS NOUVELLES.

elle contient à la fois le verbe et son sujet. Nos langues ne sont donc pas si loin de l’état dit holophrastique, où le mot était à lui seul une phrase.

L’infinitif est une conquête de l’abstraction. Il a fallu le chercher en dehors du verbe, parmi les substantifs. L’élaboration de l’infinitif était déjà commencée, mais non pas terminée à l’époque proethnique : il a fallu des siècles pour que chaque idiome fixât son choix sur une certaine forme de substantif, et pour qu’elle fût mise en possession, à l’exclusion des autres, de quelques-unes des propriétés essentielles du verbe.

C’est ici qu’on doit apprécier les avantages de ce qu’on appelle le manque de transparence ou l’altération phonétique. Cette prétendue décadence n’a pas peu contribué à donner à l’infinitif toute son utilité. Il est difficile de savoir avec certitude à quel cas de la déclinaison appartenaient les formes grecques comme ζευγνύμεναι, ἰδεῖν, φέρεσθαι. Mais cette indécision n’a fait que les rendre plus aisées à manier. Il en est de même pour l’infinitif latin. Si les formes sur le modèle de videre, audire ont fini par évincer les formes du modèle de visum, auditum, cela tient peut-être à ce que la marque de la déclinaison y est plus effacée.

Je rappellerai à ce propos un fait qui montre bien l’importance que l’infinitif a prise dans nos langues. Quand, au xiiie et au xive siècle, l’allemand s’est