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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

en serait accablé[1]. Mais tout le monde sait qu’il n’en est rien : la sagesse à demi consciente qui préside à l’élaboration du langage fait l’élagage des formes inutiles. Ce qui ne sert pas est supprimé. De là les conjugaisons composites. De là les paradigmes comme : λείπω, ἔλιπον ; βαίνω, ἔβην ; λανθάνω, ἔλαθον.

Quoique composites, ces conjugaisons ne laissent pas d’être régulières. Comme il est dans la nature de l’esprit populaire de procéder avec ordre, il porte l’ordre aussi dans ses radiations. L’aoriste second a partout hérité des formes les plus courtes, tandis que le présent a généralement gardé ce qui reste des formes les plus développées.

Le jeu de la conjugaison grecque est donc dû à une succession de pleins et de vides. Ce n’est pas qu’il ne reste encore des richesses inutiles. Le sanscrit a jusqu’à sept formations différentes du prétérit. Certains verbes grecs ont deux aoristes, deux futurs, deux parfaits. Mais à mesure que les langues avancent en âge, elles se débarrassent de leur superflu. Ce flottement qui permet à la langue homérique le choix entre trois ou quatre formes n’existe plus dans le grec de Lucien[2].

L’extinction des formes inutiles va si loin qu’elle assemble des verbes différents en une seule et même

  1. Voir ci-dessus, p. 41.
  2. On a d’ailleurs supposé, non sans vraisemblance, que le flottement de la langue homérique serait moins grand s’il n’y avait pas mélange de plusieurs recensions différentes.