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EXTINCTION DES FORMES INUTILES.

conjugaison : fero, tuli ; ὁράω, εἶδον ; λέγω, εἶπον, εἴρηκα ; je vais, j’irai, je suis allé. Nos grammaires les présentent comme des verbes défectifs qui se sont complétés réciproquement : mais pour s’ajuster si bien, il a fallu d’abord retrancher toutes les parties qui faisaient double emploi[1].


La suppression de certains mots permet des oppositions plus nettes. Le féminin de ἀνήρ était ἀνεῖρα, qui subsiste en composition : mais comme mot simple il a disparu, laissant la place à γυνή. C’est ainsi qu’en allemand l’opposition de Mann et Frau est due à la suppression du masculin Fro[2]. En français, il y avait un masculin dame[3], qui ne s’emploie plus, mais qui est longtemps resté dans dame-Dieu.

Quelquefois la suppression se fait d’une autre manière. Rex pouvait donner un adjectif reginus, comme on a divinus. Mais ce masculin ayant été étouffé, il est resté la paire : rex, regina[4].

  1. Quelquefois l’invention d’un procédé fort simple livre à l’intelligence populaire plus de formes qu’elle n’en peut utiliser. De ce nombre est l’emploi des verbes auxiliaires. Le jour où l’on commença de dire impruntatum habeo, « j’ai emprunté », on inaugurait un mécanisme plus riche qu’on ne croyait et dont tous les produits n’ont pas pu recevoir une affectation distincte.
  2. Masculin qui se trouve encore dans Fronhof, « cour seigneuriale », Fronrecht « droit seigneurial », Fronleichnam, « corps de Notre Seigneur ».
  3. D’où vidame (vice-dominus).
  4. Ces sortes d’éclaircies pratiquées (quelques-unes assez récemment) dans le vocabulaire sont encore plus visibles pour certains noms d’animaux, comme taureau et vache, cerf et biche, coq et poule, etc.