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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

de la langue ; elle les lui restitue ensuite portant la marque de ses idées, de ses occupations particulières. C’est ainsi que le mot species, qui désigne de la façon la plus générale l’espèce, a été employé par les droguistes du moyen âge pour les quatre espèces d’ingrédients dont ils faisaient commerce (safran, girofle, cannelle, muscade), en sorte que quand le mot est retourné à la langue commune, il était devenu nos épices.

Il serait facile de multiplier ces exemples. On connaît les coupures au moyen desquelles les dictionnaires séparent les différents sens d’un même mot. La plupart du temps il s’agit d’un mot général dont le sens a été diversifié par restriction.


En employant ces mots, personne ne songe au manque de proportion. Ils sont, sur le moment, bien réellement adéquats à l’objet. Si, pour une cause quelconque, le mot vieillit en toutes ses acceptions, sauf une seule, il s’en va aux âges futurs avec la valeur unique qui lui est restée, pour le plus grand étonnement de l’étymologiste. Le mot allemand Getreide (en moyen haut-allemand getregede) est un dérivé du verbe tragen, « porter », et pouvait se dire anciennement de tout ce qui se porte, comme le costume, les bagages : il se disait aussi de ce que