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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

ment artificiel, mais confirmé par le sentiment général — qu’il faut répéter le mot s’il est pris successivement en deux sens différents. Mais on permet de faire rimer un mot avec lui-même, si les deux sens sont assez éloignés[1].

Il ne serait donc pas exact de traiter les mots comme des signes qui disparaissent en une fois. Tel mot, au sens propre, peut être depuis longtemps tombé dans l’oubli, et survivre cependant en une acception détournée. Danger, au sens propre, qui est « puissance », n’existe plus : mais il continue d’être employé comme synonyme de péril[2].


Quelquefois, pour avoir séjourné plus ou moins longtemps dans quelque région particulière de la langue, un vocable est inscrit deux fois au catalogue général avec une orthographe différente. C’est ainsi que nous avons les desseins de Dieu et les dessins de Raphaël ; la chambre des Comptes et les Contes de la reine de Navarre. Chez toutes les nations, en toutes les langues, on a de ces différences, dont le demi-savoir triomphe, quoique au fond elles n’aient rien

  1. Les accommodements ne font rien en ce point :
    Les affronts à l’honneur ne se réparent point.

    Corneille.
  2. On a dit d’abord : être au danger (au pouvoir) de ses ennemis, tirer quelqu’un du danger de mort. C’est le bas-latin dominiarium.